Affaire Marina Sabatier

IED|Rubrique : Constitution de Partie Civile • juin 09, 2020

LA FRANCE CONDAMNÉE PAR LA COUR EDH

L’arrêt de la CEDH du 4 juin 2020 qui condamne la France n’est pas allé assez loin


INNOCENCE EN DANGER (au nom de Marina Sabatier) c. FRANCE

La France condamnée par la Cour européenne dans l’affaire « Marina Sabatier » du fait des manquements graves du Parquet du Mans et des carences des services sociaux, ayant conduit à la mort de l’enfant


Un arrêt qui n’est pas allé assez loin !

L’association regrette en effet, ainsi que deux des juges de la formation de jugement, que la Cour n’ait pas souhaité fonder sa décision sur le droit au respect de la vie de Marina (article 2 de la CEDH), alors qu’elle a succombé de ses blessures, négligeant ainsi la spécificité des violences domestiques faites aux enfants et leur vulnérabilité particulière. La Cour a ainsi préféré se baser sur le droit à ne pas subir de mauvais traitement pour fonder sa décision, au lieu de l’impératif de sauver la vie de l’enfant, diminuant ainsi juridiquement le niveau de protection des mineurs et envoyant le mauvais message à la communauté des Etats et des services concernés. C’est une question de vie ou de mort de l’enfant ! Pas seulement une question de maltraitance.


Elle regrette aussi que la Cour ait considéré que les recours internes français pour engager la responsabilité civile de l’Etat français pour faute lourde étaient effectifs alors qu’ils se sont révélés dans l’affaire Marina et dans tous les autres cas totalement inefficaces. Elle se réserve le droit de porter l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour européenne.


L’association est représentée depuis le début par Maître Grégory THUAN Dit DIEUDONNE, ancien Référendaire à la Cour Européenne des Droits de l’Homme.


Rappel des faits et de la décision de la Cour européenne

Marina SABATIER est morte dans la nuit du 6 au 7 août 2009 suite aux sévices infligés par ses parents. Ces derniers, condamnés pour actes de torture et de barbaries, ont pu sévir en toute impunité pendant de nombreuses années en raison de l’inertie de nos institutions censées nous défendre.


Après s’être constituée partie civile lors du procès des parents, Innocence en danger a déposé plainte contre l’Etat en 2012 pour « faute lourde ». Dans son jugement du 6 juin 2013, le tribunal d’instance de Paris n’a pas reconnu cette faute lourde de l’Etat.


En 2014, Innocence en danger saisit la Cour de cassation. Mais celle-ci confirme le jugement du Tribunal d’Instance en maintenant dans son arrêt du 8 octobre 2014 que la responsabilité de l’Etat n’est pas caractérisée. La faute lourde n’a pas été retenue au motif que les éléments produits n’étaient pas suffisants pour incriminer l’Etat du fait qu’aucune irrégularité n’aurait été constatée.


Pourtant, les faits parlent d’eux-mêmes et la série de dysfonctionnement est dénoncée et consignée dans le rapport du défenseur des droits de l’Enfant : inertie, manque de volonté des services sociaux, frilosité du corps médical à établir un diagnostic circonstancié au vu des différentes blessures et plaies sur le corps de l’enfant. Une audition hâtive voire bâclée par les gendarmes, en présence d’un de ses bourreaux, le père de Marina, a conduit le parquet à effectuer un classement sans suite.


Le fiasco de l’affaire Marina s’est conclu par de nombreuses visites des services sociaux au domicile familial, sans que l’absence de celle-ci, pourtant déjà décédée, n’éveille les soupçons …


Une affaire emblématique et historique

Pour la première fois, la Cour européenne a conclu, vis-à-vis de la France, à une telle violation et à la faillite du système de protection de l’enfance. 


Dans l’affaire Innocence en Danger c. France du 4 juin 2020, la Cour a reconnu l’intérêt à agir de l’association requérante et a condamné la France pour de multiples violations de l’article 3 de la CEDH : carences manifestes de l’enquête pénale, inertie fautive du Parquet, décision de classement sans suite définitive, carences graves et répétées des services sociaux et médico-sociaux, absence totale de communication entre services de protection – ce malgré la connaissance d’éléments sérieux et nombreux d’actes de maltraitance subi par l’enfant.


L’association se réjouit de cette victoire judiciaire et cette grande avancée pour la société civile qui peut maintenant porter, sous conditions, la voix des enfants disparus devant la justice internationale.


La faillite du système de protection de l’enfance en France

L’ensemble des faits qui étaient portés à la connaissance des autorités judiciaires et administratives par différents acteurs (enseignantes, médecin scolaire, directeur d’école, service pédiatrique de CHU, médecin légiste), qui s’accumulaient sur une période de 2 ans, auraient dû conduire à la prise de mesures de protection rapides et efficaces de l’enfant. 


Cette inertie fautive, ce manque de discernement, de pugnacité, et de diligences efficaces de tous les services concernés, ont conduit aux actes de tortures et au meurtre de l’enfant par ses parents dans des conditions atroces : telle est la conclusion de la justice européenne.


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Marina Sabatier : l’innocence assassinée

12/07 2017 | Mathilde Hirsinger


Marina SABATIER, 8 ans, victime de la barbarie de ses parents, s’éteint en août 2008 suite à l’indifférence des services publics.


Le 6 août 2008, en France, Marina SABATIER, 8 ans, succombe aux tortures orchestrées par ses parents. Malgré les nombreux appels à l’aide de sa grand-mère et des directrices d’écoles, les souffrances de Marina restent sans réponse. Bien qu’une première enquête s’ouvre en juillet 2008, le classement sans suite le 10 octobre 2008 conduit à la condamnation de la petite fille. Si le service d’aide sociale à l’enfance (ASE) débute une enquête sociale le 25 mai 2009, la conclusion de celle-ci laisse sans voix : Marina est à nouveau confiée à ses parents malgré les nombreux signalements de maltraitance. La dernière visite de l’assistance sociale au domicile des Sabatier signera l’arrêt de mort de la fillette : en juin 2009 cette dernière conclut à l’absence de danger pour Marina, un mois plus tard la petite fille décède.

Alors, série de négligences, absence de formation adéquate ou bien naïveté des services sociaux face aux déclarations des parents ? Marina a payé le prix de l’indifférence de notre société face au sort des enfants maltraités. Marina a vu son innocence assassinée, par ses propres parents, mais aussi par la complicité des services publics.

 

Les faits

C’est le 27 février 2001 que Marina SABATIER voit le jour : sa mère, Virginie DARRAS, déjà maman d’un petit garçon, accouche sous X mais vient récupérer son enfant un mois plus tard. Si aucune date précise n’est affirmée quant au commencement des sévices subis par la petite fille, ceux-ci débutent certainement très tôt puisqu’à l’âge d’un an Marina a le doigt tordu, prétendument dû à une chute de sa chaise haute. Après cela, la maltraitance physique continue sans relâche : coups et blessures volontaires, douches froides, privations de nourriture sur plusieurs jours, maintien de la tête sous l’eau jusqu’à suffocation et autres sévices corporels.

 

Un premier avertissement sans suite

C’est la sœur de Virginie DARRAS qui, la première, tire la sonnette d’alarme après avoir assisté à des coups portés sur la petite fille. Après avoir averti la grand-mère de Marina, cette dernière prévient les services sociaux qui ne donneront aucune suite à ce signalement. Suite à ces premiers avertissements, les parents de Marina, afin de brouiller les pistes, multiplient les déménagements : la petite Marina passe d’école en école et c’est de façon répétée que les enseignants et directrices constatent des ecchymoses. Après le déménagement de la famille dans la commune de Saint-Denis-d ’Orques (Sarthe), la directrice d’école, soutenue par le médecin scolaire, averti les services sociaux des soupçons de maltraitance sur la personne de Marina SABATIER, alors âgée de 7 ans.

 

Une première enquête bâclée

Une première enquête s’ouvre alors en juillet 2008. Un interrogatoire de la petite fille a lieu le 23 juillet, entendue seule par deux gendarmes, elle apparaît souriante, enjouée et, comme de nombreux enfants victimes de maltraitance, préserve ses parents en donnant, pour chaque blessure constatée, une explication naturelle. En ce sens, elle accrédite les dires de son père, Éric SABATIER, qui justifie les lésions par des accidents de la vie courante.

Le procès, tenu en juin 2012, révélera la pression morale infligée par les parents de Marina et si souvent prisée des parents coupables de maltraitance : si Marina parle, Marina perdra ses parents. Si Marina dit la vérité, papa et maman iront en prison à cause d’elle. Si Marina explique ce qu’il s’est passé, Marina ne reverra plus jamais papa et maman. Donc Marina doit se taire.

Suite à cette enquête dont l’issue est fondée sur les interrogatoires des parents et de la petite fille, l’affaire est classée sans suite le 10 octobre 2008. Jamais les gendarmes en charge de l’enquête ne rencontreront les fonctionnaires à l’origine du signalement.

 

L’enquête de l’ase, dernière chance pour Marina

Suite à de nouveaux signalements donnés par le directeur d’école de Marina, l’ASE demande l’ouverture d’une enquête concernant la famille SABATIER en raison d’un absentéisme récurrent de la petite fille à l’école, de nombreuses blessures inexpliquées et d’un comportement qualifié de « boulimique » par le directeur d’école. Les services sociaux devront attendre deux mois et demi pour pouvoir ouvrir une enquête sociale qui débute le 25 mai 2009. Entre temps, le 27 avril, Marina rentre des vacances scolaires gravement blessée au pied : c’est alors la directrice de sa nouvelle école (suite à un nouveau déménagement à Coulans-sur-Gée) assistée du médecin scolaire qui l’envoie en urgence à l’hôpital où elle restera cinq semaines. Malgré les soupçons de l’équipe médicale et l’avertissement donné aux services sociaux qui atteste des suspicions de maltraitance, Marina est renvoyée chez ses parents le 28 mai 2009.

Bien qu’il existe de lourdes présomptions de maltraitance à l’encontre des parents, l’assistante sociale, venue rendre visite à la famille SABATIER en juin, conclut en l’absence de danger pour Marina dans son cadre familial.

C’est suite à cette énième négligence que Marina s’en est allée, le 6 août 2009, dans l’indifférence générale.

 

Le procès : justice rendue, vraiment ?

Si Marina décède le 6 août 2009, ce n’est que le 9 septembre, soit plus d’un mois après, que le père va alerter la gendarmerie de la disparition de sa fille. Durant trois jours, les gendarmes cherchent la petite fille, jusqu’à ce qu’ils remarquent de flagrantes contradictions dans le récit des parents. Face à leurs discordances, les parents finissent par avouer l’impensable : Marina est décédée suite aux coups qu’ils lui ont portés. Le père, Éric SABATIER, conduit les enquêteurs au corps de la petite fille de 8 ans, coulé dans le béton à l’intérieur d’une caisse en plastique.

Le procès des parents a lieu en juin 2012 devant la cour d’assises de la Sarthe. Innocence en Danger, ainsi que trois autres associations de protection de l’enfance, se sont constituées partie civile. Les parents reconnaissent les faits et se voient condamnés à trente ans de réclusion criminelle accompagnés d’une période de sûreté de vingt ans. Une peine exemplaire, mais sont-ils les seuls coupables de la mort de Marina ? L’avocat général, Monsieur Hervé DREVARD, déclare que Marina a été insuffisamment protégée, du fait notamment du « manque de clairvoyance des professionnels chargés de la protection des mineurs, dans lesquels j’inclus bien évidemment le parquet » (http://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/2012/06/25/30-ans-au-moins-requis-contre-les-parents-de-marina-37945.html).

En effet, la responsabilité de l’Etat n’est pas sans rappeler l’affaire GOUARDO (https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Gouardo), dans laquelle les services publics (gendarmes, médecins, services sociaux) ont préféré fermer les yeux plutôt que révéler au grand jour les sévices innommables subis par Lydia GOUARDO. Mais pour Marina, l’indifférence, la lâcheté et la négligence de certains services publics ont conduit à sa mort. Les dysfonctionnements du système de protection de l’enfance doivent être pointés du doigt, afin d’éviter d’autres Marina, afin de protéger nos enfants, afin de prévenir plutôt que de réprimer, afin d’éviter les décès, afin d’éviter l’assassinat de l’innocence.

 

L’implication d’Innocence en Danger

  • Innocence en Danger s’est constituée partie civile dans le cadre de l’instruction : L’association vient en soutien à l’intérêt des victimes et contribue activement à la recherche de la vérité. En effet, en tant que partie civile, elle peut, durant l’instruction, réaliser des demandes d’actes devant le juge d’instruction. Il peut s’agir de contre-expertises, compléments d’expertises, audition de témoins, etc… que le juge d’instruction est libre d’accorder ou non. Elle a en cela été accompagnée par trois autres associations de protection de l’enfance qui se sont également portées partie civile.
  • Innocence en Danger a déposé plainte en 2012 contre l’État pour faute lourde : suite aux nombreuses négligences de certains services publics ayant entrainé le décès de Marina, l’association, représentée par Maître BRIARD et Maître BEAUTHIER, a demandé la condamnation de l’État Français du fait de ces dysfonctionnements avérés. Le Tribunal d’instance de Paris, dans sa décision du 6 juin 2013, ne reconnaît pas cette faute lourde. L’association se pourvoie alors en cassation mais la cour de cassation dans son arrêt du 8 octobre 2014, confirme la décision rendue en premier ressort. Pourtant, le rapport du Défenseur des droits (autorité constitutionnelle indépendante chargée notamment de la protection des droits de l’enfant) mentionne de façon non-équivoque les nombreux éléments factuels démontrant l’inertie et la négligence des services sociaux et des membres du corps médical.
  • Innocence en Danger saisit la Cour Européenne des Droits de l’Homme : suite à l’épuisement des voies de recours internes, l’association représentée par Maître Grégory THUAN (ancien Référendaire à la Cour Européenne des Droits de l’Homme), a choisi de saisir in fine la Cour de Strasbourg afin de faire condamner l’Etat Français. La requête a été enregistrée par la Cour et devrait prochainement être communiquée au Gouvernement français pour observations. L’association publie un communiqué de presse afin d’expliquer sa démarche.
  • Innocence en Danger appelle au rassemblement en hommage à Marina : un rassemblement de grande ampleur est organisé à Paris le 13 octobre 2016 suite à un communiqué de presse de l’association (https://comitecedif.wordpress.com/2013/09/27/innonce-en-danger-appelle-a-se-rassembler-pour-marina/ ).
  • Innocence en Danger contribue à l’inauguration du Jardin de Marina : l’association soutient le mouvement citoyen « Une pensée pour Marina » à l’origine du projet, ce mouvement a adressé une demande au maire d’Ecommoy (dernier lieu où a séjourné Marina), Monsieur Sébastien GOUHIER, afin de créer un jardin en hommage à la petite fille, décédée dans la commune. Le maire accepte le projet et l’inauguration du Jardin de Marina a lieu le 8 juin 2014 (http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/ecommoy-le-jardin-de-marina-ete-inaugure-2612824 ).

 

Informations complémentaires

Où en est l’affaire ? Le procès a eu lieu et le verdict a été rendu. Mais une requête est actuellement devant la Cour européenne des droits de l’Homme, elle a passé le premier filtre et a été communiquée au Gouvernement français. 

Avocat général lors du procès : Monsieur Hervé DREVARD. 


Les médias en parlent :


En savoir plus sur la Cour Européenne des Droits de l’Homme : la CEDH en 50 questions à http://www.echr.coe.int/Documents/50Questions_FRA.pdf

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