Opération Sangaris : des viols étouffés ?

Constitution de Partie Civile • juil. 13, 2017

En 2015, le quotidien The Guardian révèle l’éventualité de viols commis sur mineurs par des soldats de l’armée français en Centrafrique.


L’opération militaire Sangaris conduite par l’armée française en République centrafricaine débute le 5 décembre 2013. Les soldats français sont autorisés à intervenir dans le pays par l’Organisation des Nations-Unies (ONU) qui prend la résolution 2127. Il s’agit de faire cesser les nombreux troubles à l’ordre public qui ont lieu et de limiter le risque de génocide en République centrafricaine. Pour cela, l’ONU crée une mission spéciale qui sera appuyée par les forces militaires françaises : la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine). L’armée française intervient donc dans le cadre de cette mission et bénéficie d’une grande liberté en matière de mesures à prendre, le but étant de contenir les groupes armés présents dans le pays afin d’assurer une protection effective de la population civile. Après avoir menée à bien sa mission, l’armée française termine l’opération Sangaris le 31 octobre 2016. Mais cette opération, qui a pu passer pour un succès en géopolitique, est bien moins glorieuse d’un point de vue humain. Le 29 avril 2015, le quotidien britannique The Guardian publie un rapport jusqu’alors confidentiel, qui témoigne de viols qu’auraient commis les soldats de l’armée française sur plusieurs enfants mineurs de Centrafrique durant l’opération Sangaris. Mais bien que de sérieux éléments existent afin d’accréditer ces suppositions, aucune poursuite ne sera enclenchée.

 

Les faits

L’été 2014, une enquête préliminaire est ouverte par le Parquet de Paris pour viol sur mineur par personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions envers des soldats français en poste en Centrafrique. Si, par cette ouverture d’enquête, le Parquet nous laisse penser que la lumière sera faite sur la vérité, il n’en est rien. Aucune mise en examen, aucune poursuite, des suspects entendus comme simples témoins, des écoutes téléphoniques révélant des concertations entre les membres du corps militaire, en bref, une enquête conduite principalement à décharge, refusant de mettre Accusation et Défense sur un pied d’égalité.


La révélation de l’affaire par Anders Kompass

Au moins de juillet 2014, Anders KOMPASS, haut responsable des Nations Unies, remet au Ministère français de la Défense un rapport confidentiel détenu par l’ONU et commandé par le Haut-Commissariat des Nations Unis aux droits de l’Homme (HCDH). Ce rapport, que l’ONU a en sa possession depuis plusieurs mois, regroupe de nombreux témoignages d’enfants âgés de 9 à 13 ans qui auraient été victimes de viols, entre décembre 2013 et juin 2014, par des soldats français alors en poste en Centrafrique dans le cadre de l’opération Sangaris. Ces agressions auraient été commises dans le camp de déplacés de M’Poko, près de l’aéroport de Bangui. Ces actes auraient, selon Anders KOMPASS, été négligés et relayés au second plan par l’ONU. Refusant cette inertie, le haut responsable a choisi d’agir afin que les autorités françaises puissent intervenir pour condamner les responsables.

The Guardian informe en avril 2015 qu’Anders KOMPASS a été suspendu par l’ONU du fait de la divulgation du rapport aux autorités françaises. Suite à l’absence totale de sanctions pour ces crimes, le haut responsable choisit la démission en 2016.

 

Qui est Anders Kompass ?

Anders KOMPASS, haut fonctionnaire suédois, débute sa carrière dans les années 1980 en travaillant pour l’Organisation des Nations Unies notamment en Amérique centrale et en Afrique. Lorsqu’il divulgue le rapport confidentiel concernant les violences sexuelles commises sur des mineurs par des membres des forces armées internationales, il se voit refuser le statut de lanceur d’alerte par l’ONU qui n’a pas accepté cette trahison de l’obligation de confidentialité. Il démissionne de l’ONU en juin 2016, n’acceptant pas l’absence totale de sanction envers les mis en cause.

Plus d’informations sur Anders KOMPASS en cliquant ici.

 

Un rapport accablant mais décrédibilisé par le corps militaire

Le rapport transmis aux autorités françaises par Anders KOMPASS a été remis par l’organisation non-gouvernementale Aids-Free World au quotidien britannique The Guardian. Ce dernier décide de publier le rapport, jusqu’alors confidentiel, afin de rendre l’affaire publique : le 29 avril 2015, The Guardian révèle l’affaire et publie un article choc dénonçant les viols commis par des soldats français en poste à Bangui (retrouvez l’article original, en anglais ici). Ce rapport met en cause seize soldats français accusés de viols sur une dizaine de mineurs en République Centrafricaine. Ainsi, chacun apprend que des soldats français auraient agressé sexuellement et violé des enfants entre 9 et 13 ans en contrepartie de quoi ils leur auraient donné des rations de nourriture. Les agressions sexuelles et les viols sont décrits avec précision : masturbation et fellation forcées entre autres.

Les nombreux témoignages d’enfants ont été recueillis par Gallianne PALAYRET, en poste à Bangui au moment des faits pour le compte des Nations Unies. La précision des témoignages laisse à penser que les enfants n’ont pas pu inventer, de toute pièce, ces faits si précisément racontés. Ces témoignages décrivent avec précision les faits, les lieux, mais également les auteurs des crimes : cinq soldats sont alors identifiés.

Pourtant les témoignages des enfants et témoins ne cessent d’être décrédibilisés par les enquêteurs et certaines autorités en poste en Centrafrique au moment des faits.

 

Des enquêtes partiales

Suite à l’obtention du rapport de l’ONU avec l’aide d’Anders KOMPASS, le parquet de Paris décide d’ouvrir une enquête préliminaire au mois de juillet 2014. L’enquête, confiée à des enquêteurs du corps militaire, est ouverte pour viols sur mineurs par personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Des perquisitions sont organisées et les suspects sont placés sur écoute. Lors de la saisie du matériel informatique, les enquêteurs indiquent avoir trouvé huit vidéos pouvant revêtir un caractère pédophile. Mais les soldats suspects, interrogés pour la plupart comme simples témoins (un seul a été entendu sous le régime de la garde-à-vue), nient les faits et donnent des versions tout à fait concordantes, les disculpant. Cette première enquête débouche sur l’ouverture d’une instruction avec la désignation de trois juges d’instruction par le tribunal de grande instance de Paris en mai 2015.

Mais les juges d’instruction ne procèdent à aucune mise en examen et, à la fermeture de l’enquête le 20 décembre 2016, les suspects restent libres et non inculpés. Plus récemment encore, le parquet de Paris requière un non-lieu et, eu égard à l’absence de mise en examen, il est probable que le juge d’instruction suive ses recommandations, bien qu’il n’y soit pas lié.

Une deuxième enquête préliminaire est ouverte pour le viol d’une jeune fille de 16 ans qui serait tombée enceinte à la suite de ces sévices, mais l’affaire est classée sans-suite le 20 novembre 2016.

Enfin, l’ONG Aids-Free World énonce que l’Unicef a recueilli le témoignage de 98 jeunes filles qui affirment avoir été violées par des soldats des forces internationales entre 2013 et 2015. Certaines d’entre elles révèlent aussi des actes de zoophilie qu’elles auraient été forcées de commettre. Suite à ces révélations, une troisième et dernière enquête préliminaire est ouverte dans le cadre de l’opération Sangaris. Elle concerne des actes de zoophilie que des enfants auraient été forcés de commettre par des soldats français en poste en Centrafrique. L’enquête est toujours en cours à la date du 1er janvier 2017. Elle demeure la seule qui, à ce jour, n’a pas encore été classée sans suite ou fait l’objet d’une demande de non-lieu par le parquet de Paris.

 

L’implication d’Innocence en Danger

Innocence en Danger s’est constituée partie civile lors de la première enquête préliminaire : L’association vient en soutien à l’intérêt des victimes et contribue activement à la recherche de la vérité. En effet, en tant que partie civile, elle peut, durant l’instruction, réaliser des demandes d’actes devant le juge d’instruction. Il peut s’agir de contre-expertises, compléments d’expertises, audition de témoins, etc… que le juge d’instruction est libre d’accorder ou non. L’association a effectivement réalisé une demande d’actes en mars 2017 : à plusieurs reprises, des auditions supplémentaires et des confrontations ont été demandées, sans résultat. Cette demande a été réalisée par Maître Marie GRIMAUD, avocate d’IED, en collaboration avec l’association Enfance et Partage représentée en cela par Me Rodolphe CONSTANTINO. C’est la première fois que deux associations agissent ensemble pour la manifestation de la vérité. 

 

Informations complémentaires

Où en est l’affaire ? Le dossier est en cours de clôture. 


Les médias en parlent :

En savoir plus sur l’opération Sangaris : https://fr.wikipedia.org/wiki/Opération_Sangaris#Accusations_de_viols

En savoir plus sur les missions de l’ONU : http://www.un.org/fr/sections/what-we-do/index.html

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