Lettre ouverte aux Français

IED | Régine Delfour & Charlène Cuney • avr. 15, 2021

Paris, le 8 avril 2021,


L’enjeu de la protection de nos enfants se joue depuis plusieurs mois au Parlement. Le 15 avril prochain, la proposition de loi d’Annick Billon sera discutée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Bien que nous reconnaissions une avancée notable, notamment avec l’inscription au code Pénal de quatre nouvelles infractions spécifiques, la proposition de loi d’Annick Billon est un pas trop timide, trop lâche, face à l’urgence que sont les violences faites aux enfants.


De nombreux points restent inacceptables.


La clause Roméo et Juliette, d’abord. Quand Éric Dupont-Moretti, notre Garde des Sceaux, scande qu’il « ne veut pas être le censeur des amours adolescentes » nous marchons sur la tête. Cet écart d’âge de 5 ans constitue un rétropédalage sur l’âge de consentement, exposant ainsi les mineurs de 13 ans et 14 ans à de réels risques.

Contrairement à l’idée véhiculée par la célèbre de pièce de Shakespeare, les amours entre un mineur et un jeune majeur ne sont pas seulement des amours saines et sans danger, que les adultes, mus par leur folie, encadreraient de façon arbitraire.

La réalité est tout autre :

  • En France, 65% des auteurs de viol sur mineurs ont moins de 24 ans.
  • En France, 1 femme sur 6 n’a pas consenti à sa première relation sexuelle. Parmi elles, un tiers avait moins de 15 ans.

Si criminaliser ces relations est une folie, privilégier la liberté sexuelle d’un adulte, responsable de ses actes, au détriment des plus jeunes, est une hérésie.


Par ailleurs, cet écart d’âge apporte un enchevêtrement des incriminations pour une même situation donnée, et l’âge de la victime pourrait alors devenir un élément constitutif, comme une circonstance aggravante d’une infraction, ce qui serait contraire au principe de légalité des délits et des peines.


La notion d’inceste se révèle tout aussi confuse.
Cette proposition de loi restreint, limite les situations pouvant être qualifiées d’inceste, en conditionnant la qualification à l’existence de l’autorité de droit ou de fait pour des individus ayant pourtant, de par leur place dans la famille et donc la vie de l’enfant, une autorité sur leurs victimes.
Cette ambigüité quant à la condition d’autorité ajoute de la confusion au texte de loi, et nie la brutalité des violences intra-familiales.

Ces deux dispositions rendent le droit illisible, difficilement applicable, et exposent la proposition de loi au risque d’être déclarée inconstitutionnelle par le Conseil Constitutionnel.


Qu’en est-il des mineurs en situation de Handicap ? Dans une société au sein de laquelle ces enfants ont quatre fois plus de risques de subir des violences sexuelles, et où 88% des femmes autistes ont été victimes de violences sexuelles avant l’âge de 9 ans, l’instauration d’un seuil à l’âge de 15 ans nous semble être une véritable aberration, si ce n’est un mépris de ces violences.


D’autres points cruciaux, proposés notamment par les associations, ont été refusés par le gouvernement et la rapporteuse, dont :
La mise en place d’un principe de précaution, en suspendant des droits de garde ou de visites en cas d’allégations de violences commises par un des parents.


Une plus grande écoute et liberté du corps médical susceptible de dénoncer des violences. Une réelle formation du corps enseignant pour déceler plus rapidement un enfant en danger.


Les représentants du peuple sont investis d’une mission, celle d’entendre les voix de ceux qui les ont élus. La nôtre, est de placer notre confiance en ceux qui seront en mesure de faire de la France un pays non plus désigné par son incapacité à protéger les enfants, mais au contraire, par sa volonté de prendre des mesures courageuses, claires et essentielles à la lutte contre les violences sexuelles.


En dépit de notre mobilisation, de nos appels et de nos espoirs, une fois encore la surdité de nos parlementaires suit son cours. Ils oublient d’entendre votre voix, alors que vous vous êtes soulevés massivement avec le hashtag #metooinceste.
Des milliers de personnes parmi vous se sont érigées contre ce vide juridique face aux violences sexuelles commises sur les mineurs.


Il est urgent d’imposer la protection de l’enfance comme l’enjeu de notre future société. N’ayez pas peur de leur demander de le faire. La société française veut en finir avec cette complaisance.


1 enfant sur 5 est victime de violences sexuelles, chiffre officiel du Conseil de l’Europe, dont la France est membre.


Nous vous demandons de protéger nos enfants, d’entendre leur appel au secours et d’écouter leur souffrance.
Après le 15, il sera trop tard.

Il est de notre responsabilité de faire de la France un pays où les enfants grandissent en sécurité.


Régine Delfour et Charlène Cuney, membres d’Innocence en Danger

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