Demande de retrait du tableau de l’artiste Miriam CAHN

IED • mai 02, 2023

Ce courrier s’adresse tout particulièrement à Monsieur Guillaume DESANGES, Madame Marianne BERGER-LALEIX, Madame Sylvia VARAGNE, Madame Marta DZIEWANDSKA, Madame Emma LAVIGNE, Monsieur Philippe DIAN et tous les membres du Palais de Tokyo qui ont participé de près ou de loin à la mise en œuvre de l’exposition « Ma Pensée Sérielle » de Miriam CAHN.


Mesdames, Messieurs


Alertés sur le tableau Fuck Abstraction exposé actuellement dans votre Palais, des membres de nos associations se sont rendus sur place dès le 9 mars dernier, afin d’y faire notre propre expérience.


Ce tableau tristement célèbre représente – sans l’ombre d’un doute – un enfant à genoux, poignets ligotés, forcé à effectuer une fellation à un homme. Un autre enfant est tenu par la tête juste à côté.


La violence de cette toile et le risque auquel elle expose les enfants nous a poussés à prendre la parole pour vous demander son retrait.


Plusieurs associations parmi les signataires ont saisi la justice à travers un référé liberté devant le tribunal administratif puis devant le Conseil d’Etat afin de faire décrocher cette toile ou, au minimum, réserver l’accès à cette exposition aux majeurs. En vain puisque le Conseil d’État, par une décision incompréhensible, a rejeté nos recours le 14 avril dernier(1). C’est pourquoi aujourd’hui nous nous en remettons à votre clairvoyance afin de faire avancer la protection de l’enfance.


Si l’art doit pouvoir « montrer le réel dans ce qu’il a de monstrueux », il n’en reste pas moins qu’un sujet comme celui des violences sexuelles sur mineurs ne peut faire l’objet d’une naïve complaisance. Or, en dépit des justifications de l’auteur quant à son intention et de la médiation organisée par le musée autour de ce tableau particulièrement brutal, son exposition publique met les enfants en danger.


Cette œuvre relève bel et bien de la pédopornographie, définie par la Directive européenne du 13 décembre 2011 comme englobant « tout matériel représentant de manière visuelle une personne qui paraît être un enfant se livrant à un comportement sexuellement explicite, réel ou simulé »(2).


Alors que le code pénal (art. 227-23) sanctionne la diffusion de contenu pédopornographique pour protéger l’enfance de la pédocriminalité, le Conseil d’État a ajouté à la loi en justifiant l’exposition du tableau sous prétexte d’intention ou d’explications. Les conséquences d’une telle décision pourraient être catastrophiques en matière de protection de l’enfance :

  • Suffira-t-il aux personnes qui détiennent des images pédopornographiques sur leur ordinateur de faire figurer un avertissement dénonçant le crime représenté pour justifier leur détention ?
  • Votre prochaine exposition comportera-t-elle des photos de viols d’enfant, au motif qu’elles s’inscrivent dans une démarche artistique pour dénoncer les horreurs de la guerre ? Cette simple question révèle bien qu’il est nécessaire et légitime de poser des limites à l’exposition publique de la création, même artistique.


Il importe peu que l’auteur ait ici eu l’intention de représenter une personne majeure ou mineure du moment que le public perçoit dans la victime un enfant, et ce d’autant plus que le tableau en lui-même ne comporte aucun élément de décryptage ni de condamnation de l’acte : la pancarte qui se veut explicative est située en plein milieu de la salle d’exposition et ne fait pas de lien direct avec le tableau controversé. En outre, l’écriteau décrit une « personne » aux mains liées alors même que sur la toile est représenté un enfant : le visiteur peut, une fois encore, ne pas faire de connexion avec ladite toile.


En tout état de cause, si le code pénal sanctionne le « seul » partage d’images pédopornographiques, y compris de façon discrète entre deux ordinateurs, et y compris par des personnes qui ne sont jamais passées à l’acte, c’est parce que de telles images emportent une mise en danger des enfants, en elles- mêmes et non en fonction de leur contexte. Un pédocriminel peut d’ailleurs parfaitement faire abstraction du contexte au Palais de Tokyo pour trouver sa satisfaction à contempler le tableau. Si l’image pédopornographique n’est pas en elle-même source de danger pour les enfants, pourquoi la justice sanctionne-t-elle leur simple téléchargement ?


Une telle situation ne peut être amenée à perdurer, notamment au regard du nombre croissant de demandes d’aide que nous recevons chaque jour concernant des violences sexuelles sur mineurs (plus de 400 demandes sur l’année 2022 rien que pour l’association Innocence en Danger).


Enfin, vous n’êtes pas sans savoir que le tableau n’est pas présent dans le catalogue de l’exposition, ce qui nous permet de supposer qu’aucun membre de l’organisation de l’exposition ne pouvait ignorer l’émoi causé par une telle œuvre.

Il s’agit aujourd’hui d’entendre la voix de la société civile qui ne cherche pas à faire taire un art mais simplement à préserver la santé et la sécurité de l’enfant.


Compte tenu de ces éléments, il relève de votre devoir et de votre responsabilité de ne pas maintenir un tel danger. Ainsi, nous vous demandons solennellement le décrochement de cette toile afin de préserver l’intégrité des mineurs.


Nous sommes bien conscients que l’exposition arrive à sa fin mais nous n’en demandons pas moins cette mesure symbolique afin de préserver l’enfance, pour l’avenir, de toute complicité même involontaire avec la pédocriminalité.


En comptant sur votre sens des responsabilités en faveur de l’enfance, et très respectueusement,


Associations signataires :

#WeToo Stop Child Abuse • Association pour la Protection contre les Agressions et Crimes Sexuels (APACS) • CDP-Enfance (Comprendre Défendre Protéger l’Enfance) • Enfance Intégrité • Face à l’inceste • Glenn Hoel, Association de défense des enfants maltraités • Innocence en Danger • Juristes pour l’enfance • Le monde à Travers un Regard • Les enfants de Tamar • Peau d’Âme • Protéger l’enfant • Réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et l’adolescence (REPPEA) • Traumatisme Inconscient et Victimologie • Un nouveau jour

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(1) – https://www .legifrance.gouv .fr/ceta/id/CET A TEXT000047477689?dateDecision=&init=true&page=1&query=4 72611&searchField=ALL&tab_selection=cetat

(2) Directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32011L0093&from=FR#d1e531-1-1


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